Internet et l'art en réseau

 

LE SPECTATEUR FACE A UN NOUVEAU
PROCEDE DE CREATION ARTISTIQUE


Le spectateur traditionnel est avant tout un spectateur observateur qui est uniquement dans une posture de réception de l’œuvre. Comme l’a noté Wasily Kandinski dans son ouvrage Du Spirituel Dans l’Art : « il (le public) veut y trouver toutes sortes de choses (l’imitation de la nature, la nature à travers le tempérament de l’artiste, donc ce tempérament, un simple état d’âme, de la peinture, de l’anatomie, de la perspective, une ambiance, etc.) Jamais il ne cherche à sentir la vie intérieure du tableau, à le laisser agir directement sur lui ». Il n’y a, en fait aucun lien entre l’oeuvre et le public qui la reçoit, si ce n’est un sentiment diffus qui varie selon le public et selon la personnalité. Cette absence de lien tient aussi peut-être au lieu du musée, lieu impersonnel, froid, lieu public qui rend impossible l’abandon de soi à l’art et à l’œuvre.

C’est justement tout cela que l’introduction des NTIC bouleverse…


1. Du spectateur-juge au spectateur-observateur :

Surfant sur la toile au gré des clics et des liens, le spectateur intéressé par l’art commence à s’interroger : de nouveaux repères, de nouvelles mises en scène … Est-ce de l’art ? Est-ce un art nouveau ? Il découvre la possibilité d’écrire et de dialoguer avec l’artiste pour se rassurer et se départir de toutes ses interrogations pour ensuite, peut-être devenir un acteur de l’art en réseau…

1.1. Bouleversement des repères.

Loin du musée du Louvre ou du MoMa de New York, le spectateur se trouve sur la toile. Il se trouve le plus souvent dans un environnement connu (chez lui … ou au bureau !!!). Mais la mise en scène des sites Internet le laisse perplexe : l’art n’est plus simplement « quelque chose dans un cadre », quelque chose de figé dans un environnement public et impersonnel. Le support de l’art (le site Internet) est en mouvement, interactif, souvent beau. Ce nouvel environnement suscite curiosité intellectuelle et questionnement.

1.2. Interrogations.

Est-ce que c’est de l’art ? Cela ne répond pas aux critères académiques, cela ne répond pas aux règles classiques … Mais c’est plutôt beau… ! Les sites se font accueillants, ils véhiculent une ambiance particulière et finalement, le contexte est adapté à l’œuvre, il est au service de celle-ci. La mise en scène devient presque aussi importante que l’œuvre elle-même et lui est liée comme un tout, un ensemble un et indivisible. Le contenu se confond même parfois avec le contenant, créant ainsi un univers particulier.

Point précis : La technique multimédia au service de l'art.

 

1.3. Questions.

Ces nouveaux repères environnementaux poussent le spectateur à exercer son esprit critique, à s’interroger. Il peut alors dialoguer avec l’artiste lui-même par le biais du mail ou du chat en ligne. Il peut ainsi lui poser toutes les questions qu’il souhaite sur lui, son œuvre, son site, ses projets… La barrière qui existait donc entre l’artiste et son public s’est désagrégée et la communication peut s’instaurer pour qu’une œuvre ne reste plus incomprise. Le mail joue en fin de compte le rôle de vecteur pédagogique et relationnel entre l’artiste et son public.

 

2. Du spectateur-observateur au spectateur-acteur :

Après s’être questionné sur ce nouvel art et ce nouvel environnement qui le supporte, le spectateur maintenant conscient des enjeux de ce nouveau monde artistique, peut commencer à agir. Il devient ainsi acteur (physique ou mental) du processus créatif.

2.1. Critiquer pour faire évoluer.

Le spectateur, par le biais des nouvelles technologies, peut exercer son sens critique et participer au processus créatif de l’œuvre aux côtés de l’artiste que ce soit par le biais du mail ou du chat, ou encore grâce à une web cam. En effet, certains sites ont mis en place des web cams pour que les visiteurs puissent voir les artistes travailler. Ils peuvent ainsi en direct faire des commentaires sur l’évolution de l’œuvre et peut-être, faire changer le résultat final. Une chaîne émettant 24h/24 a même été créée sur le web où se relaient à l’écran différents artistes au long de la journée.
Adresse de cette chaîne : www.canoe.com
« Le Nart Channel diffuse 24h/24, en direct et en continu, le travail et la vie d’artistes dans leurs ateliers. Le premier artiste invité est le célèbre sculpteur français Arman qui a accepté de travailler, dans son atelier de New York sur l’œil inquisiteur d’une web cam. Le site précise que cela s’appelle de l’ « open art » (de l’ « art ouvert » en français dans le texte…). Le regard du public et l’attention prêtée au processus de création aurait une influence directe, croit-on, sur la naissance de l’œuvre. » (Extrait du site canoe).

2.2. Réfléchir pour agir :

Les spectateurs peuvent également fréquenter les forums et autres communautés de discussion afin d’échanger leurs points de vue ou problèmes pratiques de création. C’est un moyen de se perfectionner dans sa technique, mais aussi sur les enjeux de l’art en réseau. Ils s’insèrent ainsi dans un réseau de connaissances et de connaisseurs qui leur servira plus tard pour évoluer dans la pratique et pour se faire connaître.


2.3. Expérimenter.

Loin des cours d’arts plastiques ou des lieux publics en général plutôt effrayants pour les novices en matière de création, le net permet aux néophytes passionnés par l’art des cours en ligne : peinture, sculpture, musique… donnés par des artistes expérimentés. Là encore, le lien entre l’artiste et le public est tout autre. Le spectateur devient ainsi acteur accompagné, avant de se lancer dans la création artistique autonome.
Exemple d'un site de cours pratiques en ligne : www.superart.com.

Certains artistes demandent au spectateur de s'approprier l'oeuvre. Il peut ainsi expérimenter et faire évoluer l'oeuvre originale vers une oeuvre personnelle et unique. Les oeuvres de l'américain Bill Seaman cherchent à créer des liens technologiques avec des formes artistiques traditionnelles (le triptyque par exemple) en proposant au spectateur / participant des expériences poétiques apparentées à la contemplation d'un tableau, mais interactives. "Passage set / one pulls pivots at the tip of the tongue" est une installation interactive : trois projections offrent au spectateur la possibilité de sélectionner des zones actives (textes en surbrillance) qui produisent à leur tour d'autres textes et images. Est ainsi composé un poème qui reflète, selon la formule de Seaman "la superposition ou la collision d'espaces psychologiques".

Oeuvre de Seaman

Oeuvre de Seaman

Oeuvre de Seaman

2.4. La réalité virtuelle :

Avec la réalité virtuelle, on passe de l'attitude encore passive consistant à regarder son écran à l'immersion totale dans un monde dont la réalité coexiste avec la nôtre. L'expression réalité virtuelle" est réservée aux expériences tridimensionnelles dans lesquelles l'utilisateur, muni d'un casque, de gants tactiles ou d'une combinaison équipée de câbles à fibre optique explore un monde simulé qui réagit à ses mouvements. Aujourd'hui, les avancées les plus spectaculaires dans ce domaine sont réalisées dans le monde médical, cette technologie reste encore trop onéreuse pour être exploitée par les artistes et reste encore, de manière générale peu exploitée par ceux-cis. Comme l'explique Regine Cornwell, commissaire d'exposition et critique : "à un moment où on considère le monde de l'art comme un marché, on comprendra que celui-ci ne montre quasiment aucun intérêt pour la technologie interactive. Mieux vaut rechercher de nouveaux espaces pour accueillir ce type d'oeuvres". Les expériences de réalité virtuelle prennent donc souvent place dans les universités.

réalité virtuelle

 

AUBER. Le Trésor des Nibelungen

Olivier AUBER. "Le Trésor des Nibelungen". Oeuvre en réalité virtuelle.


3. Du spectateur-acteur au créateur :

Au-delà des activités qui consistent à cliquer et à surfer sur le web qui impliquent, il est vrai, une forme d'interaction avec la technologie informatique, plusieurs artistes de la fin du XXe siècle ont créé des oeuvres souvent ambitieuses qui requièrent une véritable participation du spectateur. Il convient de rappeler qu'il ne s'agit aucunement d'une notion récente. Déjà en 1920, Marcel Duchamp avait créé le célèbre "rotative plaque verre" : cette oeuvre exigeait du spectateur qu'il mette en marche la machine optique et se tienne à un mètre de distance. Les évènements fluxus et les happenings des années 60 impliquaient également la participation du public. Le nouvel art interactif présente néanmoins une différence notable avec ces oeuvres., en effet, l'oeuvre interactive n'est pas maîtrisée dans sa totalité par l'artiste. Les nouveaux artistes encouragent les spectateurs à créer leur propre relation, leur propre histoire avec l'oeuvre. Evidemment, le contenu proposé demeure de la responsabilité de l'artiste, mais l'action des participants peut mener à de nombreuses variations.

rotative plaque verre de Marcel Duchamp

rotative plaque verre de Marcel Duchamp.

3.1. Œuvres interactives.

Le principe des œuvres interactives est simple : un début d’œuvre est mise à la disposition du public sur un site Internet et chacun peut, en passant, y ajouter sa touche personnelle, la développer, voire la modifier totalement.
Le résultat est le fruit de différentes influences, réunies en un travail collectif. Cela permet de créer des liens entre les artistes qui ne travaillent plus seuls. Ces collaborations sont souvent aléatoires (les contributeurs ne se connaissent pas), mais le résultat est collectif et appartient dès lors à tout le monde.
On peut noter que ces techniques ont été utilisées pour d'autres formes d'art comme la littérature ou le cinéma avec l'expérience du sud africain Graham Weinbren qui a conçu à partir d'une nouvelle de Tolstoï une machine interactive où, grâce à des capteurs infrarouges, le spectateur peut changer la trame de l'histoire à tout moment pour créer un récit unique et original.

Point précis : Les toiles interactives.

 

3.2. Mail art.

Le mail art reprend le principe des toiles interactives, sauf que le vecteur n’est plus un site Internet, mais l’e-mail. Un artiste décide de lancer un projet, il l’envoie à son carnet d’adresse ou à des adresses aléatoires, et les gens choisissent ou non de perpétrer l’expérience. L’œuvre circule de mail en mail et revient à chaque fois à l’artiste d’origine, modifiée, changée, déformée.
Exemple d’œuvre créée par la technique du mail-art :

mail art


Nous pouvons donc dire que la posture de l’artiste a évolué avec l’appropriation par l’art des nouvelles technologies. La vision du spectateur-juge devient obsolète (même si elle est encore possible sur Internet) pour qui souhaite s’engager dans l’art en réseau. Le spectateur n’est plus seulement récepteur, il est averti des enjeux et problématiques de l’art en réseau et devient progressivement acteur et artiste à son tour.

 

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